Laisse-moi respirer longtemps, longtemps, l’odeur de tes cheveux, y plonger tout mon visage, comme un homme altéré dans l’eau d’une source, et les agiter avec ma main comme un mouchoir odorant, pour secouer des souvenirs dans l’air.
Si tu pouvais savoir tout ce que je vois! tout ce que je sens! tout ce que j’entends dans tes cheveux ! Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique.
Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine.
Dans l’océan de ta chevelure, j’entrevois un port fourmillant de chants mélancoliques, d’hommes vigoureux de toutes nations et de navires de toutes formes découpant leurs architectures fines et compliquées sur un ciel immense où se prélasse l’éternelle chaleur.
Dans les caresses de ta chevelure, je retrouve les langueurs des longues heures passées sur un divan, dans la chambre d’un beau navire, bercées par le roulis imperceptible du port, entre les pots de fleurs et les gargoulettes rafraîchissantes.
Dans l’ardent foyer de ta chevelure, je respire l’odeur du tabac mêlé à l’opium et au sucre; dans la nuit de ta chevelure, je vois resplendir l’infini de l’azur tropical; sur les rivages duvetés de ta chevelure je m’enivre des odeurs combinées du goudron, du musc et de l’huile de coco.
Laisse-moi mordre longtemps tes tresses lourdes et noires. Quand je mordille tes cheveux élastiques et rebelles, il me semble que je mange des souvenirs.
Le Spleen de Paris, 1862-1869
Un hemisferio en unos cabellos
Déjame respirar durante mucho tiempo, mucho tiempo, el olor de tu cabello, hundir ahí mi rostro como un hombre sediento en el agua de un manantial y agitarlo con mi mano como un aromático pañuelo, para sacudir recuerdos en el aire.
¡Si pudieras saber todo lo que veo! ¡lo que pienso! ¡Lo que oigo en tu cabello! Mi alma viaja a través del perfume como el alma de otros a través de la música.
Tu cabello contiene un sueño completo, lleno de velamen y mástiles; contiene grandes mares cuyos monzones me llevan hacia encantadores climas, donde el espacio es más azul y más profundo, donde la atmósfera está perfumada por los frutos, las hojas y por la piel humana.
En el océano de tus cabellos, entreveo un puerto hervidero de cantos melancólicos, hombres robustos de todas naciones y navíos de todas formas recortando sus arquitecturas finas y complicadas sobre un cielo inmenso donde se repantiga el eterno calor.
Con las caricias de tus cabellos, recobro las languideces de largas horas pasadas en un diván, en la habitación de un hermoso navío, acunadas por el balanceo imperceptible del puerto, entre macetas y refrescantes botijos.
Dentro del ardiente hogar de tus cabellos, veo resplandecer el infinito del azul tropical; por las orillas almohadilladas de tus cabellos me embriago de olores combinados de alquitrán, almizcle y aceite de coco.
Déjame morder durante mucho tiempo tus pesadas y negras trenzas. Cuando mordisqueo tu cabello elástico y rebelde, me parece que como recuerdos.
El Splín de París, 1862-1869
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