Indigente

35055954

 

Elle déambule en tournant le dos à la grande ville, à l’abri des derniers refuges inaltérables de quartiers périphériques, gorgés de maisons basses contigües et inséparables, accrochées au train de l’oubli. Là où il y a moins d’agitation, où la rencontre avec son passé serait improbable, pour ne pas dire impossible et si par hasard cela parvenait à se produire, elle serait la seule à s’en rendre compte. Mais elle ne marche pas, elle se limite seulement à suivre mécaniquement le rythme que sa tête impose à ses membres.

Elle porte des vêtements apparemment propres, bien qu’hérités sans doute de ceux qui s’en débarrassent par lassitude, surabondance ou caprice. Ce ne sont pas des haillons, cependant c’est une tenue étrangère à sa personnalité d’avant.

Elle chantonne ou elle parle à chaque fois qu’elle s’assoit seule à une terrasse, en même temps qu’un tremblement compulsif agite ses jambes croisées. On dirait qu’elle est immergée dans cette ville nouvelle qui naît, loin du centre qu’elle a tant parcouru et dont elle tant profité en d’autres temps.

Elle respire, elle est en plein accord avec elle-même, alors qu´elle suspend sa respiration lorsque, traversant ce coin perdu ou lors d’une halte imprévue, elle rencontre quelque connaissance de son époque dorée, dorée comme le téléphone avec lequel elle répondait à ses clients dans la boutique qu’elle possédait, dans l’une des galeries en plein centre ville.

Où est passée sa démarche en oblique, penchant la tête vers les autres? C’était plutôt de coquets volètements, prêtant l’oreille indistinctement à un fiancé, un ami ou un amant?

Je ne reconnais pas sa silhouette, ni sa démarche, ni le mouvement compulsif, frénétique de sa jambe mais, encore moins, ses vêtements opaques et usagés, son allure débraillée, ses paroles incompréhensibles, ses gestes compulsifs.

Elle déambule, s’habille, chantonne, parle, respire dans ce monde qui existe pour elle, invisible pour les autres, entourée et imprégnée d’une épaisse brume protectrice qui la rend étrangère à elle-même et inexistante aux yeux des autres.

 

Traduction:André Philippot et Stella Maris


Publicado

en

por

Etiquetas:

Comentarios

Deja una respuesta

Tu dirección de correo electrónico no será publicada. Los campos obligatorios están marcados con *